L'économie turque à la croisée des chemins : l'inflation galopante et un ralentissement imminent menacent la croissance

L'économie turque à la croisée des chemins : l'inflation galopante et un ralentissement imminent menacent la croissance

Par
Anup S
6 min de lecture

Principaux indicateurs économiques et performance du T3

L'économie turque affiche des signaux mitigés au troisième trimestre. D'un côté, le PIB prévu pour le T3 indique une baisse de 0,2 % par rapport au trimestre précédent, signalant une fragilité économique. Malgré une croissance annuelle attendue à 2,5 %, reflétant les chiffres du T2, les indicateurs sous-jacents révèlent des faiblesses critiques.

L'industrie manufacturière a connu une contraction de 1,2 % par rapport au trimestre précédent, et l'indice des directeurs d'achat (PMI) manufacturier est inférieur au seuil d'expansion depuis mars. Ce ralentissement persistant souligne les difficultés du secteur industriel turc, frappé par des coûts de production élevés et des investissements faibles.

Les ventes au détail, cependant, racontent une histoire légèrement différente. Avec une croissance corrigée des variations saisonnières de 4,7 %, la demande intérieure semble résiliente. Les ménages turcs, poussés par des craintes de futures augmentations de prix, accélèrent leurs achats. Il est à noter que la consommation des ménages a contribué de manière significative à la croissance annuelle de 2,5 % observée au T2, suggérant que les consommateurs restent actifs malgré la hausse des coûts d'emprunt.

Perspectives de la Banque centrale : taux élevés, assouplissement modeste

La Banque centrale de Turquie a maintenu son taux directeur à 50 % depuis mars, adoptant une stratégie de taux élevés pour lutter contre l'inflation. Cependant, l'inflation se situant à près de 49 %, cette approche n'a pas encore permis une stabilisation significative des prix. La banque centrale a révisé ses objectifs d'inflation, visant 44 % d'ici fin 2024 et 21 % d'ici fin 2025, reflétant une vision plus tempérée de la reprise économique et de la stabilité des prix.

La banque centrale a laissé entendre qu'elle pourrait procéder à des baisses de taux à l'avenir, invoquant le ralentissement de l'inflation. Pourtant, les experts mettent en garde contre une approche agressive. L'économiste en chef de la QNB Bank, Erkin Isik, soutient qu'un ralentissement plus important est nécessaire pour soutenir les efforts de désinflation. De même, Selva Demiralp, professeur d'économie à l'université Koc, suggère que le scénario inflationniste actuel ne justifie pas un assouplissement monétaire important, et qu'un assouplissement limité est peu susceptible de générer une croissance substantielle en 2025.

Comportement des consommateurs : une histoire de résilience et d'incertitude

Malgré les taux d'intérêt élevés, les ménages turcs ont montré une forte volonté de dépenser. Les ventes au détail ont augmenté de 4,7 % au T3, indiquant une demande intérieure robuste. De nombreux consommateurs accélèrent leurs achats pour se prémunir contre les hausses de prix attendues à l'avenir, démontrant que les ménages sont largement résilients face à la hausse des coûts d'emprunt – du moins pour l'instant.

Ce schéma de comportement pourrait avoir des implications mitigées pour l'économie. Si la forte demande des consommateurs soutient la croissance du commerce de détail, la durabilité de cette tendance est incertaine. Si l'inflation reste élevée, les ménages pourraient finir par voir leur pouvoir d'achat diminuer, conduisant à une fatigue de la consommation et à un ralentissement potentiel des ventes au détail.

Opinions d'experts sur la trajectoire économique

Selon les économistes, l'économie turque fait face à un défi complexe. Erkin Isik de la QNB Bank suggère qu'une décélération économique supplémentaire est essentielle pour maîtriser l'inflation, soulignant l'importance d'une période de refroidissement plus importante. D'un autre côté, Selva Demiralp de l'université Koc souligne que les perspectives d'inflation actuelles ne concordent pas avec un assouplissement agressif de la politique monétaire, indiquant que les mains de la banque centrale sont largement liées.

Ces analyses d'experts mettent en lumière la ligne de crête que les décideurs politiques doivent emprunter entre la promotion de la croissance et le contrôle de l'inflation. Tout changement brutal, comme des baisses de taux d'intérêt importantes, pourrait se retourner contre eux en ravivant les pressions inflationnistes, tandis que le statu quo risque une stagnation économique prolongée.

Tendances et prévisions du marché : un avenir volatile

Les données sur le PIB pour le T3 sont attendues vendredi, et elles fourniront de plus amples informations sur la trajectoire économique de la Turquie. Dans l'intervalle, plusieurs tendances se dessinent :

  • Dépréciation de la monnaie : Avec l'inflation persistante et un secteur manufacturier en difficulté, la lire turque pourrait subir une nouvelle dépréciation, entraînant une hausse des coûts d'importation et une pression inflationniste accrue.
  • Marchés boursiers : Les actions turques pourraient rester volatiles, reflétant les inquiétudes des investisseurs concernant l'inflation élevée et les perspectives de croissance incertaines. Les entreprises exportatrices pourraient s'en sortir relativement mieux grâce à la dépréciation de la monnaie, mais le sentiment du marché reste fragile.
  • Marchés obligataires : Des rendements élevés pourraient attirer les investisseurs spéculatifs vers les obligations turques, bien que l'incertitude macroéconomique et les risques de défaut constituent des facteurs dissuasifs potentiels.

Défis et opportunités pour les parties prenantes

Le contexte économique actuel pose des défis à de multiples parties prenantes :

  • Entreprises nationales : Les entreprises manufacturières sont aux prises avec des coûts de financement élevés et la volatilité des prix des matières premières, ce qui sape la compétitivité industrielle. Parallèlement, les détaillants connaissent une croissance temporaire, mais les risques liés à l'inflation pourraient fortement affecter les dépenses de consommation dans un avenir proche.
  • Consommateurs : Si la demande intérieure reste forte, il existe un risque réel que l'inflation persistante érode les revenus réels, épuise les économies et provoque finalement une fatigue de la consommation, inversant la récente hausse des ventes au détail.
  • Investisseurs : Les investisseurs locaux ont du mal à obtenir des rendements réels dans un environnement d'inflation élevée, tandis que les investisseurs étrangers restent méfiants quant à la stabilité économique et politique de la Turquie. La promesse de rendements élevés pourrait en attirer certains, mais les risques sont considérables.

Réponses du gouvernement et des politiques : un exercice d'équilibre critique

Le gouvernement turc et la banque centrale sont confrontés à des décisions difficiles. D'un côté, le maintien de taux d'intérêt élevés pourrait contribuer à maîtriser l'inflation, mais cela risque d'aggraver le ralentissement économique. D'un autre côté, des baisses de taux agressives pourraient stimuler la croissance mais raviver les pressions inflationnistes. Des mesures budgétaires, telles que des subventions ou des incitations ciblées, peuvent apporter un soulagement temporaire, mais ne s'attaquent pas aux problèmes structurels sous-jacents.

Les experts appellent à des réformes structurelles qui vont au-delà des ajustements monétaires – telles que le renforcement de la compétitivité des exportations et l'amélioration de la discipline budgétaire – pour favoriser la stabilité à long terme. Sans ces réformes, l'économie turque pourrait risquer une stagflation prolongée, caractérisée par une inflation élevée couplée à une croissance stagnante.

Perspectives : fenêtre critique pour l'intervention

L'avenir économique de la Turquie dépend d'une intervention rapide et efficace. Sans des réformes structurelles importantes, l'économie risque de sombrer dans une période prolongée de stagflation, avec une inflation persistante et une croissance stagnante. Cependant, si le gouvernement saisit cette occasion pour introduire des réformes significatives – notamment la diversification des importations d'énergie, l'amélioration de l'efficacité industrielle et la promotion d'une croissance axée sur les exportations –, il existe un potentiel de reprise économique d'ici 2025. La fenêtre pour une telle intervention est étroite, mais les enjeux n'ont jamais été aussi importants.

La publication des données sur le PIB prévue pour vendredi sera un indicateur crucial, qui permettra de mieux comprendre si la Turquie peut stabiliser son économie ou faire face à des défis plus profonds à l'avenir.

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