
La Banque du Canada maintient son taux d'intérêt à 2,75 % en raison de l'incertitude commerciale qui assombrit les perspectives économiques
Le Canada à la croisée des chemins : La Banque du Canada stoppe les baisses de taux face aux perturbations tarifaires et au risque d'inflation
Alors que la politique commerciale américaine prend une direction inconnue, la banque centrale du Canada marque une pause, évaluant les menaces inflationnistes face à une économie qui s'affaiblit. Les traders et les décideurs politiques se préparent à un second semestre 2025 agité.
Tenir la ligne au cœur de la tempête
À un moment crucial pour la stabilité économique mondiale, la Banque du Canada a maintenu mercredi son taux cible du financement à un jour à 2,75 %, mettant fin à une série de sept baisses consécutives et marquant une pause critique dans son cycle de politique monétaire.
Historique du taux cible du financement à un jour de la Banque du Canada (2023-2025).
Date d'entrée en vigueur | Taux cible (%) | Variation (%) |
---|---|---|
26 janvier 2023 | 4,50 | +0,25 |
9 mars 2023 | 4,50 | --- |
13 avril 2023 | 4,50 | --- |
8 juin 2023 | 4,75 | +0,25 |
13 juillet 2023 | 5,00 | +0,25 |
7 septembre 2023 | 5,00 | --- |
26 octobre 2023 | 5,00 | --- |
7 décembre 2023 | 5,00 | --- |
25 janvier 2024 | 5,00 | --- |
7 mars 2024 | 5,00 | --- |
11 avril 2024 | 5,00 | --- |
6 juin 2024 | 4,75 | -0,25 |
25 juillet 2024 | 4,50 | -0,25 |
5 septembre 2024 | 4,25 | -0,25 |
24 octobre 2024 | 3,75 | -0,50 |
12 décembre 2024 | 3,25 | -0,50 |
30 janvier 2025 | 3,00 | -0,25 |
13 mars 2025 | 2,75 | -0,25 |
16 avril 2025 | 2,75 | --- |
Cette décision, prise dans un contexte d'incertitude croissante et de liens commerciaux qui s'effritent avec les États-Unis, signale non seulement la prudence, mais aussi un recalibrage stratégique. Avec des tarifs douaniers qui déstabilisent les marchés mondiaux et des risques d'inflation qui augmentent, la banque centrale doit maintenant naviguer dans un couloir exceptionnellement étroit entre récession et instabilité des prix.
Le taux officiel d'escompte demeure à 3 % et le taux de rémunération des dépôts, à 2,70 %.
« Il s'agit d'un point d'inflexion politique », a fait remarquer un économiste principal d'une société d'investissement basée à Toronto. « Nous entrons dans une phase où la politique monétaire ne consiste pas seulement à réagir aux chiffres, mais aussi à interpréter les signaux politiques à Washington. »
Un monde déraillé : L'incertitude comme nouvelle norme
Le commerce, autrefois un pilier de prévisibilité, est devenu une variable volatile. Une réorientation soudaine et agressive de la politique commerciale américaine, marquée par des tarifs douaniers erratiques, des volte-face abruptes et des menaces ouvertes, a injecté une incertitude sans précédent dans le système économique mondial.
La Banque du Canada a reconnu ce nouveau terrain en termes clairs : « L'ampleur et la rapidité du changement de la politique commerciale américaine sont sans précédent », a-t-elle écrit dans son Rapport sur la politique monétaire (RPM) d'avril 2025, qui proposait deux voies divergentes pour l'avenir.
Deux routes divergentes : Les scénarios économiques du Canada
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Tarifs contenus, forte incertitude Dans ce scénario le plus favorable, les tarifs restent limités. La croissance canadienne balbutie, mais l'inflation oscille autour de l'objectif de 2 %. Un bref ralentissement, suivi d'une normalisation.
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Guerre commerciale prolongée Un conflit prolongé plonge le Canada dans la récession en quelques mois. Paradoxalement, l'inflation dépasse les 3 % d'ici 2026 en raison des pressions exercées sur les coûts par les tarifs douaniers et les perturbations de l'offre mondiale.
La planification de scénarios économiques consiste à élaborer des avenirs alternatifs plausibles ou des "scénarios" pour explorer les résultats économiques potentiels. Les institutions comme les banques centrales utilisent cette analyse pour évaluer les risques, comprendre l'impact potentiel de différents événements et éclairer les décisions politiques, comme celles qui sont liées aux rapports sur la politique monétaire.
« Ce ne sont pas des prévisions. Ce sont des mises en garde », a fait remarquer un stratège d'un important fonds de pension canadien. « Ce qui est frappant, c'est que même dans le scénario le plus optimiste, la croissance est fragile et la confiance s'érode. »
Confiance, consommation et contraction
L'économie canadienne montre des signes indéniables de stress. La consommation, l'investissement immobilier et les dépenses des entreprises ont tous baissé au premier trimestre 2025. Le marché du travail, autrefois un pilier de la reprise post-pandémie, s'inverse maintenant.
Tendance du taux de chômage au Canada (2023-2025).
Date | Taux de chômage (%) | Source |
---|---|---|
2023 (Moy) | 5,37 | Macrotrends |
Mars 2024 | 6,1 | YCharts / Statistique Canada |
Nov. 2024 | 6,8 | Investing.com / Statistique Canada |
Déc. 2024 | 6,7 | Investing.com / Statistique Canada |
Janv. 2025 | 6,6 | Statistique Canada / Trading Economics |
Fév. 2025 | 6,6 | Statistique Canada / Trading Economics |
Mars 2025 | 6,7 | Statistique Canada / Trading Economics |
T4 2025 (Est.) | 6,6 - 7,0 | S&P Global Ratings / Trading Economics |
- L'emploi a chuté de 33 000 postes en mars, ce qui représente la pire perte mensuelle depuis janvier 2022.
- Le chômage a légèrement augmenté pour atteindre 6,7 %, car les entreprises retardent les embauches et réduisent leurs activités en raison de l'anxiété liée aux tarifs douaniers.
- La croissance des salaires s'atténue, et les sondages sur le sentiment des entreprises révèlent un pessimisme croissant quant aux six prochains mois.
Le PIB du Canada a augmenté d'environ 1,8 % au premier trimestre, mais les indicateurs prospectifs laissent entrevoir une contraction au deuxième trimestre.
Inflation : Les contre-courants des coûts et de l'effondrement
L'inflation se situe actuellement à 2,3 %, une baisse par rapport aux 2,6 % de février, mais bien au-dessus des 1,8 % enregistrés en janvier. Ce n'est pas le relâchement que les banques centrales espéraient.
Taux d'inflation de l'indice des prix à la consommation (IPC) du Canada (variation en pourcentage d'une année à l'autre).
Date | Taux d'inflation (%) | Notes |
---|---|---|
Mars 2025 | 2,3 | En baisse par rapport à 2,6 % en février. |
Fév. 2025 | 2,6 | En hausse par rapport à 1,9 % en janvier. |
Janv. 2025 | 1,9 | En hausse par rapport à 1,8 % en décembre 2024. |
Déc. 2024 | 1,8 | En baisse par rapport à 1,9 % en novembre 2024. |
Nov. 2024 | 1,9 | En baisse par rapport à 2,0 % en octobre 2024. |
Oct. 2024 | 2,0 | En hausse par rapport à 1,6 % en septembre 2024. |
Année civile 2024 | 2,4 | Taux d'inflation annuel moyen pour 2024. |
Année civile 2023 | 3,9 | Taux d'inflation annuel moyen pour 2023. |
Année civile 2022 | 6,8 | Taux d'inflation annuel moyen pour 2022. |
Deux forces opposées façonnent maintenant les perspectives d'inflation du Canada :
- Forces désinflationnistes : La suppression de la taxe sur le carbone à la consommation en avril et la baisse des prix mondiaux du pétrole feront baisser l'inflation de l'IPC à court terme.
- Pressions inflationnistes : La hausse des coûts d'importation due aux tarifs douaniers, les goulets d'étranglement de la chaîne d'approvisionnement et les attentes de répercussion des coûts entraînent une dynamique à la hausse.
L'inflation par les coûts survient lorsque l'augmentation des coûts de production (comme les salaires ou les matériaux) oblige les entreprises à augmenter leurs prix. Inversement, l'inflation par la demande se produit lorsque la demande globale de biens et de services dépasse l'offre, ce qui permet aux vendeurs d'augmenter les prix en raison de la forte concurrence entre les acheteurs. La principale différence réside dans le fait que la hausse des prix est déclenchée par des coûts plus élevés (côté offre) ou par une demande excédentaire (côté demande).
Les chefs d'entreprise et les consommateurs se préparent à un choc des prix. « Nous constatons déjà une augmentation des prix des intrants dans tous les domaines, des pièces de machinerie aux emballages », a déclaré un cadre du secteur de la transformation des aliments. « Qu'on le veuille ou non, cela va se retrouver sur les tablettes. »
Bien que les attentes à court terme en matière d'inflation aient augmenté, les projections à long terme restent stables, une lueur d'espoir, mais qui pourrait s'estomper si les tensions commerciales s'intensifient davantage.
Secteurs dans la ligne de mire : Les retombées de la guerre commerciale frappent les principales industries canadiennes
Les secteurs du Canada exposés au commerce sont en première ligne.
Automobile et fabrication :
Avec les tarifs américains ciblant les biens intermédiaires essentiels, les fabricants canadiens sont confrontés à des marges comprimées et à des coûts d'intrants en hausse. Les plans de dépenses en capital sont mis de côté, et certaines entreprises amorcent des fermetures temporaires d'usines.
Énergie et mines :
Bien que la baisse des prix du pétrole ait atténué l'inflation globale, elle menace également les recettes d'exportation. Les tarifs sur les composantes d'acier et d'aluminium exacerbent davantage la pression sur les chaînes d'approvisionnement en amont.
Agriculture :
Les agriculteurs sont confrontés à une double menace : les tarifs sur les exportations et la hausse des coûts des machines et des engrais importés. Les fournisseurs d'assurance-récolte mettent en garde contre un risque accru de réclamations pour la saison de croissance 2025.
« Chaque grand secteur d'exportation est confronté simultanément à la volatilité des coûts et au risque lié à la demande », a observé un analyste des produits de base à Calgary. « Ce n'est pas cyclique, c'est une perturbation structurelle. »
Implications sur le marché : Un fragile exercice d'équilibre
Les marchés financiers ont réagi par de fortes fluctuations à chaque annonce, rétractation et menace tarifaire. Cette volatilité en dents de scie devient maintenant systémique.
Actions :
Les actions canadiennes restent sous pression. Les entreprises axées sur l'exportation sous-performent, tandis que les secteurs défensifs, comme les services publics et les biens de consommation de base, ont affiché une force relative.
Revenu fixe :
Avec le maintien du taux directeur et l'augmentation des risques de récession, les investisseurs obligataires se positionnent en vue d'un aplatissement des courbes de rendement. Les écarts de crédit commencent à s'élargir, reflétant les préoccupations croissantes en matière de défaut de paiement.
Marchés des devises :
Le dollar canadien s'est apprécié récemment en raison de la faiblesse généralisée du dollar américain, mais les analystes préviennent que cela pourrait s'inverser si la guerre commerciale s'intensifie.
Tableau : Tendances récentes du taux de change USD/CAD en avril 2025
Date | Taux USD/CAD |
---|---|
2 avril 2025 | 1,427 |
3 avril 2025 | 1,408 |
10 avril 2025 | 1,3965 |
12 avril 2025 | 1,3863 |
14 avril 2025 | 1,3916 |
16 avril 2025 | 1,409 |
La politique monétaire à l'ère de la politique de puissance
La position de la Banque du Canada est claire : la politique monétaire ne peut pas résoudre les problèmes politiques. Pourtant, elle doit encore diriger l'économie à travers leurs conséquences.
Son objectif central, la stabilité des prix, est devenu plus complexe dans un monde où l'inflation n'est plus uniquement fonction de la demande. Les tarifs douaniers, de par leur conception, introduisent une inflation du côté de l'offre que les variations des taux d'intérêt ne peuvent pas facilement atténuer.
La politique monétaire, y compris l'ajustement des taux d'intérêt, a une efficacité limitée dans la lutte contre l'inflation causée par des chocs d'offre comme les guerres commerciales ou les fortes hausses des prix de l'énergie. Les banques centrales sont confrontées à des défis, car leurs outils influencent principalement la demande et peinent à s'attaquer directement aux contraintes de l'offre qui sont à l'origine des augmentations de prix.
Comme l'a déclaré la Banque : « La politique monétaire ne peut pas résoudre l'incertitude commerciale ni compenser les impacts d'une guerre commerciale. Ce qu'elle peut et doit faire, c'est maintenir la stabilité des prix pour les Canadiens. »
Pour les investisseurs, cela implique des exigences plus élevées pour les changements de politique. Les décisions futures concernant les taux dépendront moins des seules données nationales et davantage des développements géopolitiques, une réalité inconfortable pour une banque centrale qui valorise la transparence et la prévisibilité.
Stratégie d'investissement : Naviguer dans la zone grise
Dans cet environnement, les investisseurs sont confrontés à un menu d'options imparfaites. Les experts suggèrent de se concentrer sur :
- La qualité plutôt que la croissance : Les entreprises dotées de bilans solides et d'un pouvoir de fixation des prix sont mieux placées pour absorber les chocs.
- La diversification géographique : L'exposition aux économies moins impliquées dans la politique commerciale américaine peut offrir une atténuation des risques.
- Les obligations à courte échéance : Protéger les portefeuilles du risque de duration tout en restant flexible pour d'éventuels mouvements de taux.
- Les jeux contrariens sélectifs : Si les évaluations se corrigent fortement, les leaders cycliques peuvent offrir une valeur à long terme.
« La meilleure protection à l'heure actuelle est l'optionnalité stratégique », a déclaré un gestionnaire de portefeuille d'une grande société canadienne de gestion d'actifs. « Restez liquide, restez diversifié et ne présumez pas que la situation se normalisera de sitôt. »
Perspectives : Se préparer à l'inconnu
La prochaine décision de la Banque du Canada concernant les taux est prévue pour le 4 juin 2025. D'ici là, beaucoup dépendra de l'orientation de la politique commerciale américaine, une variable devenue aussi imprévisible que lourde de conséquences.
La banque centrale a clairement indiqué qu'elle agira de manière décisive si de nouvelles données montrent une tendance soutenue dans l'une ou l'autre direction. Mais d'ici là, elle maintient le cap, avec prudence, délibérément et en étant pleinement consciente que les enjeux n'ont jamais été aussi élevés.
Selon les mots d'un conseiller principal en politiques : « Nous sommes à un moment où les règles sont réécrites. Pour le Canada, rester immobile pourrait être la décision la plus stratégique qui soit. »
Principaux indicateurs économiques (avril 2025)
Indicateur | Dernière valeur | Commentaires |
---|---|---|
Taux directeur de la BdC | 2,75 % | Première pause après 7 baisses depuis juin 2024 |
Inflation (mars 2025) | 2,3 % | En baisse par rapport à février, mais les pressions tarifaires sont en hausse |
Taux de chômage | 6,7 % | En légère hausse ; les pertes d'emplois augmentent |
Emplois nets (mars 2025) | -33 000 | Pire résultat depuis janvier 2022 |
Croissance du PIB (T1 2025 est.) | 1,8 % | Perspectives négatives pour le T2 |
La décision de la Banque du Canada de maintenir les taux reflète plus que la prudence monétaire : c'est une pause stratégique au milieu du chaos géopolitique. Avec l'inflation qui pousse vers le haut et la croissance qui trébuche, ce moment définira la trajectoire économique du Canada pour les prochains trimestres. Pour les traders professionnels, les gestionnaires d'actifs et les décideurs politiques, la voie à suivre exige non seulement de la vigilance, mais aussi de la vision.